Vendredi, c'était jour de T.P. lors de ma première seconde. On était en T.P. de biologie, en train de faire des observations sur des bactéries. J'étais en train d'en dessiner une avec le microscope vissé à l’œil.
C'était bientôt la fin, on allait sortir en récré pour 10h25 et puis, j'ai senti une secousse dans le sol, comme s'il se dérobait sous mes pieds et se remettait en place. Une explosion, pas très forte nous arrive aux oreilles. Moi, tout souriant, le crayon à la main, prêt à chambrer l'autre groupe de la classe en T.P. de chimie mais je n'ai même pas eu le temps d'ouvrir la bouche. Une seconde explosion arrive, les cris commencent à se faire entendre, la sirène d'alarme retentit aussi, on entend les vitres voler en éclat et tomber sur le sol. Tout le monde court dans le couloir, du sang est sur le sol, les murs ou dans l'escalier. En passant devant certaines salles, les portes sont cintrées, presque pliées en deux, du verre de partout dans la salle. On se retrouve dehors. C'est bizarre, il fait étrangement clair pour l'heure mais ce n'est pas une lumière habituelle, elle est plutôt orangée, presque rouge. Je cours dehors pour voir si ce n'était pas une voiture qui avait e explosée devant le lycée. Je lève les yeux et je vois ce nuage orange, monter dans le ciel. Je recentre, essaye de retrouver des copains. Une fille que je connais a réussi à téléphoner, elle pleure, je la prends dans mes bras. J'entends un bruit, comme une pluie et puis, je sens quelque chose nous tomber dessus. C'est petit, noir, c'est de la cendre mélanger à de la terre. Pris de panique, on se réfugie sous le préau, sous le bâtiment. Le proviseur adjoint nous dit de nous regrouper tous dans le gymnase, on continue à courir. Quand on voit l'état du gymnase, on se dit que ce n'est pas la peine, on restera dehors, sans abris. L'air commence à être lourd, on est gêné pour respirer, c'est âcre. Les profs de physique reconnaissent l'odeur : c'est l'ammo-nitrate. Ils savent que c'est AZF qui a explosé. Je retrouve deux copines, elles aussi pleurent, je les prends dans le bras. Un prof, le visage en sang essaye comme il peut de rassurer les élèves... Je vois une autre fille, assise , en train de pleurer, je laisse mes deux copines et je vais voir cette inconnue. Des copines arrivent pour elle. La cour se vide, je reste avec Aurélie, on s'accompagne pour se donner du courage pour retourner dans la salle où on était en cours. Je retrouve ma prof de bio en train de remettre en place une grille d'aération. On ne sait pas comment rentrer chez nous, c'est à 3/4 d'heure de bus du lycée, à pied, ça serait trop long. On retrouve notre prof de physique, elle habite à Colomiers. Elle nous propose de nous ramener. Elle dépose Aurélie chez elle, moi à l'école où travaille ma mère. La porte est fermée, je tape à la porte de service de la cantine, une employée me regarde à travers la vitre, je lui dis que je suis le fils d'une prof, elle m'ouvre. Je la remercie. Je cours à travers l'école, je vais dans la classe de ma mère, en chemise. Les enfants sont tous content parce qu'ils n'ont pas cours. Je prends ma mère dans mes bras, elle est contente de me voir. J'ai de la cendre plein les cheveux. A midi, mon père vient à l'école, il ne veut pas que ma mère prenne son vélo pour rentrer. Il me ramène à la maison. Dans la voiture, il ne me pose aucune question. A peine arrivé, je me mets devant la télé, je n'ai pas faim, je regarde ce qu'il s'est passé, je veux savoir. Mon père mange, regarde les infos sans plus d'attention puis repart à son travail. On ne s'est pas parlé. Au bout d'un moment, je vais me laver, pour enlever cette odeur âcre de ma peau. Je prends un bain, l'eau est noire, il y a des morceaux de cendre qui coulent au fond. Je me lave une fois, deux fois, trois fois. Je me sèche, me rhabille, me remets devant la télé. Ma mère revient avec sa collègue pour me chercher, pour éviter de me laisser tout seul. Les rues sont vides, désertes, mortes. Il fait super beau mais c'est un soleil qui fait mal aux yeux. Je passe l'après-midi à l'école de ma mère. Le soir, quand on rentre, mon père m'engueule parce que je n'ai pas laissé de mot po ur lui dire où j'étais. Je ne lui pardonne toujours pas son silence à ce moment. J'aurais aimé qu'il me pose une question. J'avais l'impression que j'aurais pût crever, ça ne lui aurait fait ni chaud, ni froid. Je sais qu'il m'aime, que mes deux parents m'aiment et je les aime moi aussi mais là, il n'a vraiment pas assuré ! Quelques jours plus tard, je vais voir Aurélie, on est tous les deux choqués. On est dans sa chambre, une porte claque, on bondit tous les deux, se regardant et voyant à nouveaux les images du vendredi.
En cours d'histoire, le personnel d'entretient déplace des tables au-dessus de notre salle, Emilie se met à pleurer, elle n'assistera pas à la fin du cours, elle sort, c'était 4 semaines après, un autre vendredi, le 19 octobre si je me souviens bien. A 13 heures, cours de math, il n'y a plus de fenêtre, juste du bois. On a une coupure de courant comme pendant l'explosion, on se regarde tous, le ventre noué. Le soir, j'avais une sortie avec l'option théâtre. On va au théâtre Garonne, voir Le Roi Lyre en norvégien, les gradins sont démontables, ils bougent sans cesse, je me sens très mal. Depuis, dès que je passe à la gare et qu'un train est en train de rouler, j'accélère le pas et je repense à tout ça. Dès que j'entends un grondement sourd que je n'arrive pas à identifier, je panique.
J'ai mis énormément de temps à arriver à pleurer de cette explosion, un an et demi à tout garder pour soi, à en parler avec le sourire, à la rigolade, comme si ça ne me touchait pas mais quand j'ai revu des photos, j'ai pleuré. J’ai la chair de poule quand j'y repense et ça fait du bien de pouvoir tout évacuer. J'espère juste savoir exactement ce qu'il s'est réellement passé.